Histoire des prénoms et des noms  ( suite )

 

Le zèle révolutionnaire s'en mêle, mais aussi la flagornerie, et souvent la bêtise qui vont conduire à de curieux excès. En effet, les prénoms révolutionnaires, que l'on trouve pittoresques avec le recul, n'ont pas dû toujours être faciles à porter. On relève sur les registres de l'époque des garçons prénommés Liberté-chérie, La liberté, Tricolor, Droitde-l'homme, Sans-culotte, Plein-d'amour-pour-sa-patrie..., et des filles prénommées Claire récolte, Flambeau-d'amour, Corbeille-d'or, Sans-crainte, Affranchie et Va-de-bon-coeur-pour-la-République. Mais il y a pire encore :Café-billard, né le 4 ventôse an II dans le district d'Etampes, fils du citoyen Chaneugue, limonadier, on Restaurant faure, né le 3 frimaire an II dans le district de Nancy, fils du citoyen Paillot, blanchisseur, ou Télégraphine, née le 18 fructidor à Paris, passage des PETITS-PAS, fille du citoyen Monet, marchand.

Heureusement, ces excès sont assez marginaux et, dans l'ensemble, le public reste fidèle aux bons vieux noms des saints., les législateurs de la Révolution " avaient méconnu la force des liens avec le passé, la puissance des anniversaires. La chronologie nouvelle rompait avec l'histoire. S'accordant au futur, elle restait sourde au passé, même le plus récent. Elle n'eut pas le temps de pousser des racines dans l'âme du peuple et disparut sans être regrettée des contemporains ".

C'est Bonaparte, nommé Consul à vie, qui va restreindre cette liberté désordonnée, par la loi du 11 germinal an XI (ler avril 1803). Plus tard, devenu Empereur, il abandonnera complètement le nouveau calendrier (en septembre 1805).

La loi de germinal opère un retour radical à la situation antérieure puisqu'elle supprime le libre choix et stipule que les prénoms doivent être issus d'un calendrier existant. En ce sens elle permet de renouer avec les traditions religieuses, tout en conservant le bénéfice de la laïcité acquise.

L'utilisation du pluriel à propos de calendriers confirme bien en effet que les noms du calendrier révolutionnaire sont admissibles au même titre que ceux du calendrier catholique. La loi autorise aussi les noms des personnages connus de l'histoire ancienne, entérinant ainsi la mode et peut-être plus particulièrement le goût de Bonaparte pour l'antiquité romaine.

La loi de germinal (qui nous régit encore) entend fixer définitivement l'onomastique. Aussi vastes soient-elles, la liste de tous les saints (près de 40000) et celle de tous les personnages illustres de l'histoire ancienne sont des ensembles clos. On peut imaginer le projet d'en dresser l'inventaire exhaustif.

Or, bien au contraire, la commission de l'état civil s'y est toujours, et très énergiquement, refusé. Le législateur montre de la sagesse en faisant belle part à l'interprétation, il permet le libre jeu des transformations de la mode et de l'évolution de la langue - laissant à la jurisprudence son rôle de garde-fou.

Le mauvais goût étant la chose la mieux partagée du monde et non pas le bon sens, les litiges qui vont opposer le public et les officiers de l'état civil durant deux siècles sont assez pittoresques. Ce sont ces fonctionnaires qui en définitive vont façonner les usages, car la sanction de leurs décisions est pratiquement nulle. Une fois par an, le parquet vérifie les registres de l'état civil et, à l'occasion de quelques inscriptions, adresse aux officiers responsables une note de réprobation pour avoir accepté certains prénoms. Par contre, devant un refus d'inscription, le particulier, s'il n'entend pas modifier son choix, doit saisir la Justice.

Un acte de l'état civil étant immuable dès l'instant que sa rédaction est achevée, on a pu trop souvent voir accepter l'inacceptable. Nous ne résisterons pas au plaisir de citer ici les cas les plus curieux que nous ayons relevés :

Flore éternelle (Montigny, 1848), Que veut Dieu (Joinville-le-Pont, :1856), Bastille (pour une fille née le 14 juillet 1880 à Morbier-en-Jura), Arménie (Vaudry, 1870), République française (Paris-10e, 1871), Flcur des neiges (Saint-Marcouf, 1887), Oculiste (Chailly-enBière, 1890), Avée Marie Stella (ainsi orthographiée), Aviateur (Joinville, 1911), Ranavalomagenk-a (Aubervilliers, 1913), Liberté-Egalité-Fraternité (pour une fille née à Paris-5e le 8-8-1920), et plus récemment : Marquise de ma Gloire, Médor, Marx, De Gaulle, etc. Il faut bien dire que, dans la pratique, les officiers de l'état civil refusent les prénoms insolites plus souvent qu'ils ne les acceptent. Les services du substitut ont déconseillé à Paris, en 1968, les prénoms Violente et Contestation qui avaient été sollicités dans plusieurs mairies d'arrondissement de même  de prénommer un enfant Mirlourirain (il s'agit d'un saint rémois fêté le 7 juin) ou Mogoldobonorco (saint ermite de Kiladre fêté le 19 février) ou Melon (qui figure au calendrier catholique comme saint et au calendrier révolutionnaire comme légume) ou encore Tanche (qui figure au calendrier comme sainte le 10 octobre et au calendrier républicain comme poisson le 25 prairial), C'est ainsi, par exemple, qu'en 1899 le Tribunal Civil de Narbonne dut admettre en définitive le prénom Anaclet qu'avait refusé un officier, ignorant qu'il s'agissait d'un saint pape fêté le 13 juillet (6).

Par contre on regrettera que des officiers de l'état civil se soient ridiculisés en refusant Henriette (Paris, 1907), Jeanne (Paris, 1919), et aussi Arlette, Muguelte, Ginette et Graziella parce que ces jolis prénoms, pourtant usuels, ne figurent effectivement pas dans les calendriers. On les félicitera en échange d'avoir eu le bon goût d'accepter Océana (Courteilles, 1907), Rigel, Vega, Ariel et Alcyone (noms d'étoiles acceptés à Talence en 1902, 1904, 1909 et 1918), Bergamotte et Asphodèle (Paris, 1976), sans vérifier le calendrier (où ils ne figurent pas).

Il faut convenir que les cas soumis peuvent être bien embarrassants, et les décisions contradictoires en témoignent. Le prénom Luxima a été accepté puis refusé à Paris dans la même mairie (en 1867 et en 1893), Violette a été accepté à Paris, refusé à Chartres, réprimandé à Vincennes.

En réalité les difficultés sont contenues dans le texte même de la loi. En somme, constatait déjà Edouard Levy, elle n'a rien réglementé, et suppose à tous les maires ou secrétaires de mairie des connaissances historiques et religieuses illimitées, ou au moins une bibliothèque importante contenant tous les calendriers.

Le calendrier le plus ancien qui nous ait été conservé est celui d'un " chronographe " (ou almanach) de l'an 354. Dès l'an 430 l'église rédige un martyrologue (ou liste de saints) que nous connaissons à travers une adaptation du Vle siècle attribuée à saint Jerôme. Mais ce n'est qu'au XVe siècle que l'on verra apparaître dans le publie des calendriers proposant des saints à fêter ou honorer chaque jour : il fallait attendre en effet l'invention de l'imprimerie...

En 1584, en logique application du Concile de Trente qui rend obligatoire l'usage des noms de saints, un martyrologue officiel est dressé à Rome qui, outre la compilation des biographies antérieures, sera augmenté au fur et à mesure des saints canonisés dans les règles qui seront définitivement fixés à partir de 1634 par Urbain VIII.

Plusieurs listes calendaires à prétention exhaustive ont été tentées à l'initiative de particuliers et, malheureusement, il s'est trouvé des officiers de l'état civil pour leur prêter un caractère officiel. En 1865, par exemple, la Librairie Paul Dupont avait diffusé une brochure accompagnée d'une recommandation du Ministre de l'Intérieur " approuvant que ce manuel fut signalé à MM. les fonctionnaires administratifs par la voie du Bulletin Officiel ". Cette liste a pu faire illusion d'autorité et on la trouve encore dans de nombreuses mairies. Or, malgré son importance, elle est si peu exhaustive qu'elle omet des prénoms aussi usuels qu'Aurore, Bernadette, France, Gisèle, Nicole, Simone ou Yolande, Lionel, Max ou Stéphane.

Les tribunaux, notamment celui de Compiègne (7 février 1912), ont souvent mis en garde contre le crédit de telles listes, Malgré une légende tenace, il n'existe aucune liste officielle de prénoms, et le législateur n'entend pas en créer, ainsi que l'a encore précisé en 1973 Jean Taittinger, alors Garde des Sceaux, en réponse à la question écrite d'un Député (7).

(6) Une autre difficulté soulevée par le terme " calendrier " consiste dans l'usage de donner pour prénoms des noms de fêtes. Bien qu'interdit par les Rituels anciens, l'usage a prévalu pour, et de nombreux prénoms se sont ainsi formés : Noël, Toussaint, Penthecoste. et plus curieusement : Tiéloine (Epiphanie), Caroymantrant (Carême), ou même Osanna. il faut aussi ranger dans cette catégorie des prénoms comme Janvier, Matinea ou Hodierna (aujourd'hui).

Les Espagnols ont poussé plus loin cette pratique avec Asuncion, Conception, Trinidad et même Presenlacion, mais aussi avec les attributs de la Vierge Dolorès (pour N.-D. des Douleurs), Carmen (pour N.-D. du Mont Carmel) et Pilar.

Dans les ex-colonies françaises " christianisées ", de nombreux enfants ont reçu pour prénoms, en toute bonne foi (c'est le mot juste), des mentions lues dans les calendriers telles que Inimaculée-Con., ou même Fêt. Nat.

 De l'histoire ancienne

Car il y a bien la aussi une difficulté dans la loi de germinal, qui laisse les officiers l'état civil devant des problèmes d'appréciation. La loi parle des personnages de l'histoire ancienne. De quel point de vue faut-il juger l'ancienneté? Des mairie, ont.refusé pour prénoms Marat, Robespierre et même Ravachol, mais d'autres ont acceptés Hoche, Kléber et surtout Joffre qui fut, il y a soixante ans, l'objet d'une sorte d'épidermes-- comme nous l'avons relaté.

Les prénoms historiques sont trop souvent liés à l'actualité ou à la mode. Ils risquent C7 cela de porter un préjudice ultérieur à leurs titulaires. Faisant leur le dicton de VoItairc " C'est un poids bien pesant qu'un nom trop tôt fameux ", les officiers comme le-tribunaux considèrent le plus souvent que l'histoire ancienne se limite à l'antiquité

La réforme " libérale " vient de l'Eglise

A la suite des dispositions du Concile de Vatican 11, la Sacrée Congrégation des Rite, a promulgué un nouveau Calendrier général de l'Eglise romaine. Il limite à 157 le nombre des saints proposés à la vénération universelle, en même temps qu'il modifie les dates qui sont attribuées à certains d'entre eux, pour permettre (à trois exceptions près) de le, honorer à la date anniversaire de leur mort. Quarante-quatre saints sont, à cette occasion. rayés des contrôles par le Saint-Siège, faute de base historique. "

Cette " épuration " entend laisser le plus grand nombre des fêtes de saints " à la célébration de chaque Eglise, nation ou famille religieuse particulière ". C'est une véritable décentralisation liturgique.

Dans cet esprit, le Centre National de Pastorale Liturgique a établi, en liaison d'ailleurs avec les syndicats professionnels de fabricants d'agendas, de fleuristes et d'autres métiers. une liste d'environ six cents saints patrons, proposés à la vénération plus particulière des francophones.

Mais parmi les bouleversements de Vatican 11, il faut surtout remarquer une réforme de taille : le Rituel du Baptême promulgué par Paul VI le 20 juin 1969 ne fait plus aucune obligation concernant le choix des prénoms. C'est un abandon radical des dispositions du Concile de Trente qui exigeaient de retenir des noms de saints. L'Eglise apparaît ainsi brusquement plus laïque et plus libérale que notre loi républicaine.

Et maintenant...

L'apport linguistique des Français d'adoption et des étrangers (il y en a près de quatre millions en France), la vogue des problèmes régionaux, la puissance de l'information moderne, font de la planète un village, comme dit McLuhan. Il est normal dans ces conditions que l'onomastique évolue en même temps que la langue et que les moeurs. Les tendances modernes sont dans l'ensemble assez libérales. On sait par exemple que la longue et retentissante affaire Goarnic a bien fini. Il s'agit de cette famille bretonne qui, dans les années 50, n'avait pas accepté de donner à ses enfants d'autres prénoms que Adraboran, Maïwen, Houib'lelian ou Gwenaël. L'Administration se montra aussi têtue que les parents, et les enfants dépassèrent vingt ans sans exister pour l'état civil. En janvier 1976, le Médiateur, Aimé Paquet, faisait savoir que, après une mission du Procureur général. l'Administration était décidée à régulariser la situation des enfants et à leur délivrer des actes d'état civil.

Dans le même esprit, les maires admettent souvent aujourd'hui des prénoms étrangers. et l'on a vu une petite Marseillaise de mère danoise se prénommer Kirsten Hvidtfeld. et le Tribunal de Colmar accepter, le 17 février 1965, Hjalmar, Biorn et Svern (mais rejeter Elke et Arje).

Ce libéralisme s'est étendu aux variantes. On conçoit très bien maintenant que le féminin de Joseph soit Josèphe à Paris, Josephte en Savoie, Josette en Languedoc, Josée en Lorraine ou que Léon donne Léone, Léonce, Léona, Léonie et Léontine.

La seule intransigeance des fonctionnaires et des tribunaux et que l'on relève avec une certaine constance, qui paraît parfaitement justifiée, concerne les diminutifs. Le Tribunal de Caen, en 1965, a confirmé qu'il y avait lieu de refuser d'enregistrer Kelig ou Kelaïg, considérant qu'il s'agissait de diminutifs, mais que l'on pouvait pai - contre accepter le

(8) Cette notion d'histoire ancienne a donné prise à d'autres sujets de discussion. Elimine-t-elle par exemple les noms tirés de la mythologie ? La question n'a jamais été bien tranchée. Les prénoms bibliques sont-ils historiques ? Une loi de 1855 a opté pour l'affirmative.

Les musulmans, qui n'ont pas le choix d'une liste calendaire, utflisent fort souvent des prénoms historiques. et y incluent volontiers l'actualité. On connaît même un Gaulle et un Clemenceau.

(7) Question écrite n- 5884 du 8 novembre 1973. - M. Saint-Pau expose à M. le Ministre de la Justice que " l'instruction générale relative à l'état civil " traite fort bien du problème des prénoms qui peuvent être donnés à un enfant nouveau-né. il n'en reste pas moins que le choix est souvent l'objet de litiges entre parents et officiers de l'état civil. A défaut de règles précises en la matière, l'instruction générale fait, notamment, appel au bon sens, au jugement personnel, à l'appréciation, mais aussi au réalisme, au libéralisme et à la prudence des maires, toutes notions abstraites qui peuvent varier d'un individu à l'autre, et même suivant les époques et les régions. Il lui demande donc s'il ne lui paraît pas souhaitable de dresser une liste précise de tous les prénoms actuellement admissibles en France, L'établissement de cette liste pourrait, semble-t-il, être confié à l'Académie française ou à une commission spéciale créée à cet effet. Cette liste pourrait, d'ailleurs, être complétée ou révisée périodiquement,

Réponse. - L'établissement d'une liste officielle et limitative des prénoms pouvant être admis en matière d'état civil est pratiquement irréalisable en raison notamment du fait qu'il convient de tenir compte, pour l'admissibilité ou l'orthographe d'un prénom, des particularités locales.En outre, malgré des révisions périodiques, elle risquerait d'être constamment dépassée par l'évolution des usages. Signé - Jean Taittinger.

Les intéressés ignoraient, sans doûte, qu'ils auraient pu se prévaloir, d'un saint Conteste, évêque de Bayeux, inscrit au calendrier le 19 janvier. Je passe le tuyau aux amateurs en les engageant toutefois à bien considérer que les mots trop marqués font des prénoms difficiles à porter vingt ans après.

Il arrive aussi que les officiers méfiants soient amenés à refuser des prénoms qui, pour être ridicules, n'en sont pas moins parfaitement réguliers.

Pour la vie

On ne considère jamais assez qu'un prénom est donné pour la vie. Jusqu'à une Loi de 1955 il était d'ailleurs absolument impossible d'en changer. Cela expliquait l'attitude plus rigoureuse des officiers de l'état civil qui ont pour consigne essentielle de veiller à l'intérêt ultérieur de l'enfant prénommé.

 

Aujourd'hui les secrétaires de mairie sont cultivés, mais les usages sont plus tolérants, et les Français aiment à dire qu'il n'y a pas d'orthographe pour les noms propres. Les variantes sont en définitive peu nombreuses et ont souvent du charme. Le goût un peu snob pour le Y n'a pas donné de mauvais résultats avec Elyane, Henry ou Raymond. et l'on peut seulement déplorer quelques formes barbares comme Yrène ou Lydya.

 

 

(9) C'est d'ailleurs parce que rien ne s'y opposait que Claude ou Dominique, par exemple, sont devenus des prénoms polyvalents.

 

 

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